Les heures silencieuses
Les heures silencieuses
Gaëlle Josse
cette lecture m'avait été suggérée par Mind The Gap
Les pages défilent en harmonie entre deux arts, la peinture et la musique, dans ce roman inspiré par un tableau "Intérieur avec femme à l’épinette" (détail) d’Emmanuel de Witte, un peu austère comme cette peinture mais qui s’anime sur un fond musical constant : "Dans la joie comme dans la peine, la musique demeure notre compagne." (page 14). "La musique chemine en nous, c’est une grâce de se laisser toucher par elle. Je crois volontiers qu’elle adoucit nos cœurs et nos humeurs." (page 55).
En utilisant le "je", Gaëlle Josse laisse la parole à son héroïne dans l’écriture d’une période très courte de son journal intime, entre le 12 novembre et le 16 décembre 1667, assez longue pour se défaire de ce qui blesse sa conscience.
A droite, au premier plan, la jeune femme est de dos, assise devant un clavecin. C’est son choix que je ne dévoilerai pas -il suffit de patienter jusqu’à la page 67-.
Magdalena Van Leeuwenbroek est l’épouse de Pieter Van Bayeren, dont la présence est suggérée par un vêtement et une épée posés devant le lit, sur la gauche du tableau. Au fond, on aperçoit la jeune servante boiteuse, Sarah. "L'épinette installée près de la fenêtre vient de chez mes parents. Elle est plus modeste que le grand clavecin de notre salon de musique, avec son double clavier, sa sonorité généreuse, son couvercle agrémenté de paysages et ses bois précieux, mais je suis accomodée aux défauts de mon épinette, et mes doigts y trouvent seuls leur place. Elle est ma mémoire et ma voix, c'est auprès d'elle qu'il m'importait d'être représentée."(page 13).
Tous ces détails ont leur importance puisqu’ils ont été commandés au peintre par Magdalena.
Depuis toute petite, la nuit l’oppresse, comme le secret qu’elle a juré de taire et dont elle se libère pourtant en quelques lignes. Et puis, viendront d’autres drames intimes encombrants qu’elle ne peut confier à personne, sauf à ce cahier qui, elle l'espère, ne sera découvert qu’après sa mort.
Magda, à une époque où très souvent les mariages étaient arrangés, a pu choisir son mari qui devint le fils que son père espérait tant. L’aînée dans une fratrie de filles, elle a été bercée par les histoires de marine et de négoce et s’est intéressée très tôt aux affaires de son père : "Pour ma part, j'étais heureuse de mon sort, et me plaisais à questionner mon père sur ses affaires.
Ainsi, dès que j'ai su lire, écrire et compter, tout ce qui touchait à la façon d'engager ou d'emprunter l'argent, à l'entretien des navires et aux frais d'équipage, aux risques de mer, à la marche de nos comptoirs, aux prix en cours dans les magasins, à l'organisation des ventes, aux discussions avec les fournisseurs de vivres, aux bénéfices sur la cargaison, aux procès à mener contre un actionnaire déloyal de la Compagnie ou un courtier indélicat, m'était aussi familier qu'une simple promenade au bord du canal."(page 33).
A son tour mère d’une famille nombreuse, dont 4 enfants sont morts, elle a failli perdre la vie lors de la naissance de sa dernière fille qui n’a pas survécu. Après cette terrible épreuve pour son cœur de mère, l’ultime décision de Pieter met son corps de femme en deuil. Elle accepte avec résignation (et par amour ?). Mais la nuit, dans le silence de sa chambre, Magdalena cherche la paix dans l’écriture de son journal.
A travers cette liberté de penser, l’enfance, le travail et la famille sont des thèmes que Gaëlle Josse développe avec conviction.
J’ai beaucoup aimé ce petit roman dans la collection J’ai Lu (89 pages) publié en 2012.
Et en le lisant, j'ai pensé que Claudialucia aurait très bien pu l'écrire.
L’auteur clic
Après des études de droit, de journalisme, de psychologie et quelques années en Nouvelle-Calédonie, Gaëlle Josse est rédactrice pour le magazine Elle à Paris.
Le peintre
"Emmanuel De Witte a peint au 17e siècle des intérieurs d’églises dont la perspective et la géométrie nous impressionnent encore. Il a aussi peint cette scène d’intérieur que l’on pourrait prendre pour un Wermeer, n’en serait-de la géométrie presque carcérale. Une femme est présente, harmonieuse avec le décor, mais un peut s’interroger sur ce qu’elle pense, est-ce aussi conforme que le décor ?"...
C’est le point de départ du roman de Gaëlle Josse