Une photo, quelques mots avec Leiloona
c'est le choix de Leiloona
La maison en bleu
A chaque grandes vacances, c'était le même rituel. A peine arrivée, et après déposé un baiser sur les joues de Papy-Mamy, la petite fille courait dans la grande salle un peu sombre, un peu inquiétante avec ses meubles recouverts de housses blanches, comme des fantômes, et s'immobilisait devant le tableau noir et blanc.
Ses grands-parents n'auraient, pour rien au monde, permis qu'un membre de la tribu la dérangea. Depuis qu'elle avait su marcher, elle venait se planter devant. Plus tard, quand elle avait su parler, elle avait demandé à sa grand-mère où était cette maison qui semblait aussi vieille que sa Mémé, toujours assise à côté du fourneau. Jamais elle n'obtint une réponse...
La maison la regardait d'un air un peu triste. Elle semblait morte malgré ses volets ouverts, enfin ceux qui n'avaient pas été arrachés. Elle semblait si seule, aussi, posée au milieu de ce champ de terre, à peine auréolée par les rayons du soleil couchant. Le mur du fond s'était écroulé et le gros arbre, sur le côté, était nu. Mais pourquoi avait-on fait cette photo en hiver ? Pourquoi celui ou celle qui l'avait photographiée n'avait-il pas attendu l'arrivée de quelques fleurettes qui lui auraient donné un air plus heureux ?
Jeanne allait avoir 20 ans. Sa Mémé était morte, sans bruit, et ses grands-parents s'étaient ridés mais attendaient toujours ses visites, hélas trop rares à leur gré. Ils ne se déplaçaient plus guère et se tenaient assis, à leur tour, une grande partie de la journée, à côté du fourneau où mijotait la soupe, dans la même vieille cocotte en fonte noire.
Jeanne se posait toujours les mêmes questions, sans jamais avoir réussi à percer le mystère de cette maison abandonnée quelque part. Elle avait échaffaudé des hypothèses les plus folles, des drames inavouables, des malheurs insurmontables, ou bien alors -elle l'espérait- des petits bonheurs quotidiens de plusieurs générations puisque ce tableau restait accroché au mur de la grande salle...
Dans sa chambre d'étudiante, sur le mur en face de son lit, l'esquisse qu'elle avait dessinée en 3e, veillait sur elle. Ses quelques traits de crayon coloraient sa solitude.
"C'est une maison bleue
Adossée à la colline
On y vient à pied, on ne frappe pas
Ceux qui vivent là, ont jeté la clé
On se retrouve ensemble
Après des années de route
Et l'on vient s'asseoir autour du repas
Tout le monde est là, à cinq heures du soir..."
Maxime Le Forestier