La poésie du jeudi chez Asphodèle
Ce n'est pas une poésie mais un extrait d'un texte de Parfums de Philippe CLAUDEL, "Gauloises et Gitanes". C'est le bouquet de pois de senteur sur la couverture de ce Livre de Poche qui m'a attirée. Et puis, réflexe conditionné, j'ai tourné le livre pour y lire la 4e de couv. : "En dressant l'inventaire des parfums qui nous émeuvent, on voyage librement dans une vie. Le bagage est léger. On respire et on se laisse aller. Le temps n'existe plus : car c'est aussi cela la magie des parfums que de nous retirer du courant qui nous emporte, et nous donner l'illusion que nous sommes toujours ce que nous avons été, ou que nous fûmes ce que nous nous apprêtons à être. Alors la tête nous tourne délicieusement." P.C.
En découvrant ce "G" de l'abécédaire des souvenirs olfactifs dans l'enfance de l'auteur, me revoilà replongée dans ma propre enfance et dans l'odeur qui me soulevait le coeur des gauloises que mon Père fumait, de ses choix délibérés pour les Peugeot et le Ricard !
Les mots de Philippe CLAUDEL sont simples et justes, précis comme ses/nos souvenirs qui reviennent intacts, comme le souligne (en 4e de couverture) Isabelle Curtet-Poulner, de Marianne : "Servis par une plume délicate, les parfums flottent, palpables, presque incarnés, et porteurs de cette nostalgie particulière, inhérente à des mondes enfouis."
"On est soit Gauloises, soit Gitanes. Comme on est soit RTL, soit Europe 1, soit Peugeot, soit Citroën, soit Pernod, soit Ricard... Je l'ai toujours connu avec son paquet de Gauloises dans la poche ou dans la main, la cigarette aux lèvres, une toux caverneuse bien installée, et la petite maison qu'il habite... garde de jour comme de nuit l'âcre et irritante mémoire du tabac brun : meubles, moquette, rideaux, vêtements, cheveux, haleines, peaux, tout se marque de l'odeur des Gauloises. J'aime cette odeur car j'aime ceux qui la portent... Le cendrier est plein et le salon troublé par une brume feuilletée qui prend ses aises et ne veut pas décamper... Les hommes de cette génération sont des sujets d'expérimentation malgré eux : ils se goudronnent les poumons avec persévérance, sans renâcler ni abandonner le paquet bleu, souple, orné du casque gaulois... Les fumeurs de Gitanes se distinguent des fumeurs de Gauloises. Souvent, ils n'appartiennent pas à la même classe sociale. Les prolétaires achètent les secondes. Les cadres, les professions intermédiaires, les contremaîtres, les instituteurs et les ingénieurs consomment les premières dont le tabac, également brun, dégage une fumée qui me paraît plus dure, plus agressive, moins nonchalante, resserrée et un peu sèche, presque hautaine pour tout dire, en regard de la plantureuse bonhomie, de l'aspect brut et sympathiquement grossier de celle des Gauloises. Parquet de carton dur, rectangulaire dans le sens de la largeur pour les Gitanes. Paquet souple, tout en hauteur pour les Gauloises..."