"Une photo, quelques mots" avec Leiloona
J'ai un peu de temps. Et la photo m'inspire ! Je joue avec Leiloona
Dans quelle galère s’était-il embarqué ?...
«Crénom de Diou», lui aurait hurlé le Toine, son grand-père, qui avait fêté ses 90 ans juste avant son départ à Paris pour sa journée de défense et de citoyenneté. De mon temps, un homme faisait la guerre mon gars, lui répétait le Toine, qui savait de quoi il parlait. Il avait été fait prisonnier, et en était revenu blessé en novembre 43.
La fille en robe panthère, à côté de lui, avait rigolé quand il lui avait dit son prénom. Elle s’était moquée, bien sûr. Il en avait l’habitude. Sa grand-mère s’appelait Armande, et ses parents lui avaient donné ce prénom, pour faire plaisir au Toine, inconsolable depuis la mort de sa femme, à son retour d’Allemagne.
Il aurait bien voulu le faire, lui, son service pour échapper à cette vie à la ferme. Il en avait marre de travailler du lever au coucher du soleil, 7 jours sur 7. A son âge, pas question d’aller boire un verre au village, avec les conscrits -plus très nombreux- de Riverie, le samedi soir. Le père était intraitable. Il faut dire que la ferme passait de père en fils, et son père n’avait pas échappé à cette dure loi familiale. A plus de 60 ans, il n’avait jamais voyagé, à cause des bêtes.
Armand avait pris le premier car du matin pour Lyon, pour prendre le TGV jusqu’à la gare de Lyon. Le Toine lui avait bien tout expliqué : en sortant de la gare, fallait prendre le RER «rouge», direction La Défense, descendre à Châtelet Les Halles, prendre la ligne 4 «rose foncé», direction Porte de Clignancourt jusqu’à Château rouge. Là, fallait trouver une cabine pour téléphoner à la Tante Emilienne qui viendrait le chercher.
Armand s’était trompé de sens de métro. Il était descendu à Saint-Michel et s’était retrouvé au Quartier Latin. Que de monde. La tête lui tournait. Il s’était arrêté vers la dame perchée sur des talons aiguilles, qui attendait dans la rue. Elle avait une drôle de voix, trop de rouge aux lèvres, une cigarette à la bouche, et pas la langue dans sa poche, mais elle était gentille. C’est ainsi qu’il s’était laissé embarquer dans une chambre sordide, sans oser lui dire non, et avait dépensé une grande partie de ses économies…
½ heure avait demandé la fille… Prudent, il s’était contenté de hocher la tête… Tout s’était précipité quand elle avait commencé à lui faire des choses… Vite fait, bien fait, comme disait son père à sa mère, le dimanche soir, en montant dans leur chambre…
Il avait remis sa chemise à carreaux, et comme ils avaient faim tous les deux, elle lui avait demandé de l’inviter au petit resto juste à côté de l’hôtel. Rosie étudiait la carte avec attention. Armand se demandait si le peu d’argent qui lui restait lui permettrait de payer la note du restaurant…
Armand avait complètement oublié la Tante Emilienne qui attendait devant son téléphone. Après le resto, ils iraient chez Rosie. Elle lui avait proposé de l’accompagner dans le 12e, le lendemain matin, au CSN, rue de Chaligny.